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La France est en guerre depuis 1939, mais c'est le 14 juin 1940 que les allemands envahissent Paris. L'« Occupation » commence. Elle durera  jusqu'à la Libération en août 1944.
Le JAZZ, officiellement interdit dans les territoires " annexés " (Alsace et une partie de la Lorraine), ne fait pas l'objet d'un réel ostracisme ailleurs. Il n'est pas absent des scènes (ou des estrades) parisiennes. L'entrée dans la capitale des visiteurs indésirables ne perturbe que quelques jours l'activité des cabarets, comme des autres lieux de spectacles, qui reprend ensuite de plus belle ...
Encore plus nombreux, ils attirent toujours une clientèle abondante et hétéroclite, composée de représentants des forces d'occupation mais aussi d'occupés peu sensibles à cette promiscuité et dont les évènements n'ont pas affecté la situation personnelle. Ils leur seront, au contraire, pour une partie d'entre eux en tout cas, largement profitables.

« Selon Candide du 26 mars 1941, il y avait au mois de janvier 1941 cinquante-cinq cabarets et boîtes de nuit à Paris, soit quinze aux Champs Elysées, vingt-cinq à Montmartre, neuf à Montparnasse et six dans les alentours de l'Opéra. En ce mois de mars 1941, il y en a soixante-cinq, soit respectivement : vingt, vingt-neuf, neuf et sept. »

Le jazz est considéré par les autorités comme une musique « de jungle, nègre, juive et décadente », donc contraire à leur éthique si particulière. Pour éviter de les heurter, les titres des ‟standards” les plus célèbres, toujours interprétés au demeurant, sont traduits en français  de façon plus ou moins fantaisiste ! C'est ainsi que, par exemple, ‟ Saint Louis Blues ” devient ‟ La Tristesse de Saint Louis ”,  ‟ Dinah ” est rebaptisée ‟ Dinette ” et que ‟ Les Bigoudis ” se substituent à  ‟ Lady be Good ”…
Beaucoup de musiciens (dont Django REINHARDT, un manouche !) ont la possibilité d'exercer leur art, bénéficiant du manque de rigueur, voire d'une certaine bienveillance à leur égard de l'occupant.
JAZZ et SWING ne deviennent pas des mots tabous, loin de là ... Le JAZZ  de  PARIS, dès les premiers mois de 1941, se produit dans différents cabarets, Robert BERGMANN dirige l'Orchestre Symphonique de Jazz, notamment fin 1941, début 1942, lors de concerts très courus où sont interprétées des œuvres de Michel WARLOP (Swing Concerto) et de Django REINHARDT. On ressort même la pièce de Marcel Pagnol : JAZZ, datant des « années folles » et présentée en mars 1941 au GYMNASE avec en vedette Harry Baur.
  
Le vocable SWING surtout, fait recette. Les orchestres sont souvent « swing », quand ils ne sont pas des « jazz-swing »; des tziganes, gitans ou manouches, présents jusqu'à la fin de l'Occupation, peuvent jouer " swing ", le Swing Club de Paris possède sa propre formation qui se produit dans une boîte de la rue Pigalle (Le MEGEVE) en 1942. Des revues comme
 " Paris Swing ", " V'là Paris ... Swing " ou " Atout ... Swing " sont présentées cette année là. Dans cette ambiance festive, le CHANTILLY propose pour le réveillon 1941/42 une revue au titre provocateur: " Sans restrictions " ainsi qu' « un merveilleux programme de nuit ».

En février 1942, un Festival Swing a lieu à la Salle PLEYEL au profit du « Secours National - Entr'aide d'Hiver du Maréchal » et des musiciens prisonniers et leurs familles avec toutes les vedettes du JAZZ français annoncées comme telles. Un journaliste de La Semaine à Paris, alors " politiquement correct " explique: « Certains voient dans le JAZZ des origines étrangères. Nous déplorons qu'une jeunesse désœuvrée ait pris pour bannière le mot "swing", qui est, certes, d'origine américaine (souvenez vous des matchs de boxe ...). Mais nous préférons sourire, lorsque nous ne quittons pas le terrain uniquement musical, d'y voir le moindre rapport. Certains ensembles comme le célèbre quintette de Django REINHARDT ont certainement créé un style bien français de formule moderne ... »
Le mot swing, justement, qui s'applique aussi aux jeunes excentriques de l'époque férus de jazz (et que l'on appellera bientôt zazous), inspire à André Billy, écrivain, critique et historien des lettres, une chronique intitulée : SWING, dont quelques extraits suivent. Cette chronique a été publiée par  le Figaro du 13 mai 1942 (ce journal, alors replié à Lyon cessera de paraître de la fin de la même année jusqu'à la Libération) :
  
« Le swing a déjà sa littérature, où j'ai cherché une bonne définition de ce que c'est. Le swing est, si je ne me trompe, un certain comportement à la fois extérieur et moral ou domine le mépris des conventions, des formules, du tout fait, du littéraire, du boniment, de l'artifice, du chiqué. Le swing est le retour à une simplicité directe et en quelque sorte, primitive ; plus que primitive, animale. Le swing est la sauvagerie, l'instinct brut. Dans la tenue, il se manifeste par des cheveux longs, des chandails, des chaussures de sport avachies. Dans les opinions par des boutades dénuées de sens positif ou, mieux encore, par des silences. Je ne sais pas si le swing est l'ennemi des idées : en tout cas, il est celui de la logique et du discours. Il est une attitude de révolte et de négation. Le swing s'insurge. Contre quoi ? Contre tout. Il ne discute pas, il s'assène. Swing ! Sonore comme un coup de cymbales et dur comme un coup de poing, ce mot coupe court à toute discussion.
La protestation, la négation, la révolte, le dégoût, le pessimisme ont été de tout temps les attributs obligés de la jeunesse. On entre dans la vie et le premier coup d'œil qu'on y jette vous révèle qu'elle est mauvaise. La misérable condition de l'homme et la défectueuse organisation de la société ont pour un adolescent qui vient de passer son baccalauréat de philosophie, quelque chose de choquant. Comment ? Après vingt siècles d'histoire, c'est à ce point que nous en sommes ! Ceux qui nous ont précédés sur cette planète étaient vraiment des pauvres types ! Leur bêtise ne mérite qu'un mot : swing ! Swing pour eux ! Swing pour leurs idées et leurs œuvres ! Swing pour ce qui relève d'eux et porte leur marque périmée !
Les airs méprisants et dégoûtés, la tristesse, le pessimisme, l'inquiétude, le malaise, l'horreur des conventions et des préjugés, l'appétit de nouveauté, le besoin de vivre librement selon la simplicité de la nature ont, depuis l'avènement de l'individualisme romantique, été le propre de toutes les générations nouvelles. Bien que c'en soit fait de l'individualisme, ce n'est donc pas ce que l'on est tenté de reprocher le plus à nos jeunes swing. Une jeunesse ardente et réfléchie, nous l'avons : les swing ne sont qu'un petit nombre. Cependant, c'est d'eux qu'on parle. C'est eux qui paraissent donner le ton. Erreur d'optique qui s'explique sans peine. L'autre jour, quelqu'un comparait les swing aux Incroyables du Directoire. Combien étaient ceux-ci sous les galeries du Palais Royal ? Cinq cents tout au plus et je mets bonne mesure. La proportion des swing doit être à peu près la même. On ne s'intéresse à eux que parce qu'ils forment une minorité voyante et que, malgré ce qu'on en dit, leur comportement provoque chez l'observateur une réaction.
Or, la réaction de quiconque a vécu les années 1918 - 1925 est, devant le swing, de dire : « Est-ce qu'ils n'auraient pas pu trouver autre chose ? Les cheveux longs, les chandails, les grosses lunettes, les grosses chaussures, les gros mots, les danses nègres, la musique syncopée et improvisée, c'est donc tout ce qu'ils ont trouvé, nos jeunes “dans le train”, nos jeunes “à la page”, nos jeunes sophisticated, comme disent ceux à qui les swing ont emprunté le mot swing ? »
  
En 1943 et 1944, l'activité des musiciens ne faiblit pas dans de multiples établissements qui ne semblent pas vraiment affectés par les difficultés de l'heure. C'est moins le cas notamment pour les journaux qui annoncent leurs programmes et qui, en raison d'une pénurie de papier réduisent leur format, espacent leur parution (des hebdomadaires deviennent bimensuels) et allègent leur contenu.

Le livre d'Hervé Le Boterf : « La Vie Parisienne sous l'Occupation  1940 - 1944  (Paris bei nacht) » publié par les Editions France-Empire en 1974, restitue, non sans humour mais avec objectivité - et souvent avec précision - l'atmosphère de cette époque.

Le saxophoniste et chef d'orchestre Lionel BOUFFÉ évoque aussi cette période dans son recueil : « MUSICIEN DE JAZZ ! Souvenirs vécus, 1941 - 1951 » :

« … Outre la littérature (les revues de jazz ainsi que les rares livres existants sur le sujet) et les disques (relativement rares eux aussi) il y avait les concerts. Et les amateurs furent gâtés dans ce domaine. Curieusement (réaction probable à la guerre et à l'occupation), le jazz fut l'objet d'un véritable engouement de la part des jeunes. Les salles de concert étaient archi - combles. L'absence des musiciens américains (combien regrettée !) fit soudain sortir de l'ombre une foule de musiciens français qui, du jour au lendemain, devinrent de véritables vedettes dont les noms s'étalaient sur les murs : Django REINHARDT, Alix COMBELLE, Aimé BARELLI, André EKYAN, Gus VISEUR etc … On s'arrachait leurs derniers disques qui faisaient ensuite fureur dans les surprises-parties, principale distraction de la jeunesse parisienne. Un véritable âge d'or pour le jazz français ! Sans parler de la mode vestimentaire qui, inspirée par le jazz, vit apparaître le style " swing " ou " zazou " ... »

Jean Claude FOHRENBACH se souvient (Jazz Hot de mars 1985) :
« En 1942, je suis revenu à Paris et j'ai eu des contacts avec un JAZZ qui existait alors d'une façon particulière, autonome et fermée, en raison du blocage total de l'Atlantique. Pour les musiciens, le JAZZ était devenu quelque chose d'essentiellement français. Pour tous les gens de ma génération (DE VILLERS, MEUNIER; la précédente avait connu des musiciens américains à Paris) les archétypes et les vedettes c'était Alix COMBELLE, Django, GRAPPELLI. Pour le public, en revanche, le JAZZ était quelque chose d'américain, donc interdit. Le JAZZ était donc extrêmement populaire, sous réserve de ne pas afficher d'américanisme, d'où la traduction de tous les standards de l'époque: Lady be Good devenait : Les Bigoudis, etc ... Les musiciens ont eu une assez belle vie professionnelle à cette époque ... Pendant l'Occupation, les gens sortaient beaucoup dans les boîtes, où il y avait au moins deux orchestres. Il y avait également des surprises-parties privées ... »