« Le swing a déjà sa littérature, où j'ai cherché une bonne définition de ce que c'est. Le swing est, si je ne me trompe, un certain comportement à la fois extérieur et moral ou domine le mépris des conventions, des formules, du tout fait, du littéraire, du boniment, de l'artifice, du chiqué. Le swing est le retour à une simplicité directe et en quelque sorte, primitive ; plus que primitive, animale. Le swing est la sauvagerie, l'instinct brut. Dans la tenue, il se manifeste par des cheveux longs, des chandails, des chaussures de sport avachies. Dans les opinions par des boutades dénuées de sens positif ou, mieux encore, par des silences. Je ne sais pas si le swing est l'ennemi des idées : en tout cas, il est celui de la logique et du discours. Il est une attitude de révolte et de négation. Le swing s'insurge. Contre quoi ? Contre tout. Il ne discute pas, il s'assène. Swing ! Sonore comme un coup de cymbales et dur comme un coup de poing, ce mot coupe court à toute discussion.
La protestation, la négation, la révolte, le dégoût, le pessimisme ont été de tout temps les attributs obligés de la jeunesse. On entre dans la vie et le premier coup d'œil qu'on y jette vous révèle qu'elle est mauvaise. La misérable condition de l'homme et la défectueuse organisation de la société ont pour un adolescent qui vient de passer son baccalauréat de philosophie, quelque chose de choquant. Comment ? Après vingt siècles d'histoire, c'est à ce point que nous en sommes ! Ceux qui nous ont précédés sur cette planète étaient vraiment des pauvres types ! Leur bêtise ne mérite qu'un mot : swing ! Swing pour eux ! Swing pour leurs idées et leurs œuvres ! Swing pour ce qui relève d'eux et porte leur marque périmée !
Les airs méprisants et dégoûtés, la tristesse, le pessimisme, l'inquiétude, le malaise, l'horreur des conventions et des préjugés, l'appétit de nouveauté, le besoin de vivre librement selon la simplicité de la nature ont, depuis l'avènement de l'individualisme romantique, été le propre de toutes les générations nouvelles. Bien que c'en soit fait de l'individualisme, ce n'est donc pas ce que l'on est tenté de reprocher le plus à nos jeunes swing. Une jeunesse ardente et réfléchie, nous l'avons : les swing ne sont qu'un petit nombre. Cependant, c'est d'eux qu'on parle. C'est eux qui paraissent donner le ton. Erreur d'optique qui s'explique sans peine. L'autre jour, quelqu'un comparait les swing aux Incroyables du Directoire. Combien étaient ceux-ci sous les galeries du Palais Royal ? Cinq cents tout au plus et je mets bonne mesure. La proportion des swing doit être à peu près la même. On ne s'intéresse à eux que parce qu'ils forment une minorité voyante et que, malgré ce qu'on en dit, leur comportement provoque chez l'observateur une réaction.
Or, la réaction de quiconque a vécu les années 1918 - 1925 est, devant le swing, de dire : « Est-ce qu'ils n'auraient pas pu trouver autre chose ? Les cheveux longs, les chandails, les grosses lunettes, les grosses chaussures, les gros mots, les danses nègres, la musique syncopée et improvisée, c'est donc tout ce qu'ils ont trouvé, nos jeunes “dans le train”, nos jeunes “à la page”, nos jeunes sophisticated, comme disent ceux à qui les swing ont emprunté le mot swing ? »