L’intérêt de Ray BINDER pour le jazz doit beaucoup au hasard :
« Le 24 juillet 1921, mon père, descendu du train de Paris pour passer le week-end en famille, apparu sur la plage de Deauville et se dirigea vers l’endroit où je me séchais au soleil après avoir fait une partie de tennis et un semblant de water-polo.
Il portait un curieux paquet enveloppé de papier journal et me le tendit en expliquant : « Pour l’anniversaire de tes seize ans … ».
J’étais assez étonné de son comportement inhabituel et anxieux de voir le contenu du fameux paquet. Quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver un magnifique cornet à pistons, nickelé, ainsi qu’une méthode Arban destinée aux débutants de cet instrument. Je fis cette découverte sans aucun enthousiasme car je ne voyais pas du tout ce que je pourrai bien en faire.
De plus, mon père s’était entendu à l’avance avec le trompettiste de l’orchestre lyrique du Casino afin qu’il me donne quelques leçons. J’en pris trois dans les semaines qui suivirent et, les gammes aidant, je pus bientôt sortir du pavillon des sons discordants qui écorchaient les oreilles des voisins et les miennes. Et, évidemment, je laissais tout cela de côté en pensant que je n’arriverai jamais à jouer l’ouverture de Carmen, du Barbier de Séville et encore bien moins, la Chevauchée des Walkyries ou la Marche des pèlerins de Tanhauser.
C’était pourtant cela que mon père espérait de son cadeau. Le pauvre homme dû le déplorer souvent, mais je n’y pouvais rien.
Il fallut rentrer à Paris à la fin août et reprendre le chemin du Collège Chaptal afin d’affronter en fin d’année scolaire le redoutable deuxième « bachot », qui devait m’amener, l’année suivante, à l’Institut de Chimie Appliquée (qui devint l’Institut Curie).
Pendant cette année 1921 / 1922, je fis la connaissance d’un ami de sorties parisiennes et un jour, rue des Italiens, par le plus grand hasard, entendant une musique qui nous parût très originale, nous fîmes connaissance de la boutique des Billards Brunswick ainsi que d’une charmante vendeuse dont le rôle (très ingrat) était de faire connaître au public la marque de disques BRUNSWICK (autre activité du fabricant américain de billards - NDLR), dont elle ne disposait que des enregistrements de jazz. Elle était ravie de trouver des auditeurs et je crois bien me souvenir que tous ses disques passèrent sur son phonographe pendant cet après-midi mémorable.
Nous étions dorénavant acquis à cette nouvelle musique et le virus du jazz s’introduisit dans nos cellules grises pour ne plus jamais en ressortir.
Mon ami René GORDON et moi-même faisions le plus clair de nos sorties rue des Italiens et, malgré le peu d’argent dont nous disposions à l’époque, nous achetâmes quelques exemplaires.
De plus, d’autres amateurs se joignirent à nous et il fût entendu que nous allions monter un orchestre ... »