Un autre jour, deux petits gosses, très timidement, me demandèrent de les accompagner sur une musique très connue dont ils n’avaient aucune partition. L’accompagnement eut lieu le mieux du monde et ces deux gosses eurent un fameux succès. C’étaient Jimmy GAILLARD et sa sœur qui imitaient le fameux duo : Maurice CHEVALIER et Yvonne VALLEE. Jimmy a fait son chemin depuis et, à chacune de nos rencontres, il ne manque jamais de me remercier. Le soir, le Bagdad se transformait en restaurant dansant et les clients étaient très différents de ceux de l’après-midi et bien plus exigeants.
Début janvier 1934, les KENTUCKY SINGERS nous ont quittés, appelés par d’autres engagements et nous les avons remplacé par deux musiciens, tous deux saxophonistes : Bob FRUMKIN à l’alto et au baryton, VIGNERES au ténor, mais aussi au violon. A la batterie, OLIVIER a succédé à MARION (Jean ?).
Tout marche bien et, à part de nouveaux arrangements musicaux, notre orchestre tient le coup.
Par contre, dans la rue, les choses s’enveniment ; l’affaire Stavisky est le détonateur et les manifestations se succèdent. Le 6 février 1934, tous les contestataires se retrouvent Place de la Concorde. Vers six heures du soir, ils cherchent à traverser la Seine pour atteindre l’Assemblée Nationale.
Pour nous, le thé – dansant s’est déroulé à peu près bien mais la soirée risque d’être sérieusement gâchée. Dès 20 heures, des ambulances remontent le Faubourg Saint Honoré en direction de l’hôpital Beaujon, toutes sirènes hurlantes.
Des groupes de manifestants menacent de briser les glaces du Bagdad. Mr Faudrain sort un impressionnant revolver, bien décidé à tirer sur qui voudrait pénétrer dans le restaurant.
Trois jours après, les forces de gauche font une démonstration d’une telle ampleur que tout se calme comme par enchantement.
Tout est donc rentré dans l’ordre, l’orchestre marche bien, Faudrain est content, mais le Bagdad doit fermer ses portes comme chaque printemps, et il va falloir trouver du travail.
Edouard consulte les impresarios et nous sommes engagés à Biarritz pour la Pentecôte. Mr Lartigue, directeur de Casinos de Biarritz, a signé un petit contrat d’une dizaine de jours afin de nous tester et nous jouons dans le cabaret du Casino de la Plage. Une excellente chanteuse américaine dont je crois pouvoir affirmer qu’elle est d’ascendance russe, tient le rôle de chanteuse, évidemment, mais aussi celui d’hôtesse, ce qui lui réussit très bien, et le cabaret devient le rendez-vous élégant de la Côte Basque ..